Pour y accéder, il est préférable d'avoir un.e guide car le chemin est rempli de symboles (une forêt selon Baudelaire), guide qui permettra d'ouvrir une disposition latente de co-naissance; l'intuition (qui n'est pas opposable à la raison).
Cette intuition permet de donner à deux événements sans lien de causalité, un sens singulier pour la personne qui les perçoit ou dont elle est témoin.
La finalité de la démarche psychanalytique est métanoïaque (conversion du regard ) par un retour aux sources, celui du moment d'une unité. Métanoïa afin de créer les conditions d'un nouveau départ vers le futur. Se souvenir de son futur en quelque sorte.
L'idée de décoïncidence proposée par François Jullien offre une perspective d'ouverture pour sortir de tous les collages d'avec les idéologies, les normes, les modes, d'avec tout ce qui crée une adéquation totale entre deux termes, deux êtres. Ce qui s'attache ne se questionne pas, car aucun écart n'est envisageable lorsque les éléments sont liés, coïncidants.
Si une personne coïncide avec son passé douloureux par exemple, elle est en quelque sorte enfermée avec lui.
Une proposition thérapeutique "décoïncidante" ouvrira les portes des possibles, sans viser une quelconque réparation, afin de permettre à cette personne de sortir de la fusion d'avec son passé pour envisager un présent et un futur créatifs, non répétitifs et lui permettre de passer du (1+1 =1) formule du collage, au (1+1=3) de la décoïncidence vivifiante.
Le thérapeute consulté se doit de ne pas être coïncidant avec les concepts théoriques, les normes pratiques, les étiquetages nosographiques qui l'environnent, de toujours préserver le (1+1=3). Sinon, comment pourraient se produire des écarts, des fissures, des bifurcations, de l'espace vivifiant pour cet autre qui vit reclus avec son passé ?
Hannah Arendt dans son livre « La condition de l’homme moderne » différencie le travail de l’œuvre.
Le travail est corrélé à la nature et ne présente rien de spécifiquement humain. L’homme ici considéré comme n'importe quel organisme vivant, transforme la nature pour satisfaire ses besoins, en la métabolisant pour l'assimiler. La nature est comprise comme une ressource indispensable à sa survie. Ce processus est illimité, sans début, ni fin. Tout ce qui est produit par le travail est destiné à être consommé. Le travailleur quant à lui est interchangeable anonyme, sans singularité.
Œuvrer vise à l'édification d'un monde spécifiquement humain, à la fabrication d'objets imaginés, créés pour durer qui s'établissent dans la nature sans chercher à la consommer. Une œuvre peut-être associée à une réalisation d'importance ou d'envergure qui deviendra alors un chef d’œuvre, ou encore une œuvre d'art.
L'o(e)uvrier contribue à l'édification d'un cadre humanisé qui tend vers le permanent, le durable.
L’œuvre connaît un début et une fin , sa concrétisation s'effectue dans une construction du temps qui distingue un passé, un présent et un futur se différenciant ainsi de toute immédiateté, de toute urgence.
Se rendant à Chartres, Charles Peguy aperçoit sur le bord de la route un homme qui casse des cailloux à grands coups de masse. Les gestes de l’homme sont plein de rage, son visage exprime la colère. Peguy s’arrête et interroge: Que faites-vous, Monsieur ? « Je travaille vous voyez bien. Je casse des cailloux, je n'ai rien pu faire d'autre que ce métier stupide» lui répond l’homme renfrogné.
Un peu plus loin sur le chemin, notre voyageur aperçoit un autre homme affairé à une tâche similaire, son attitude toutefois diffère du précédent. Son visage est plus serein, et ses gestes harmonieux lorsqu'il utilise le maillet. Que faites-vous, Monsieur ? questionne une nouvelle fois Peguy. « Je taille une pierre ».
Plus loin encore, Charles Peguy rencontre un troisième homme lui aussi s'affairant près d'un tas de roches. Son allure est radicalement autre. Il affiche un franc sourire. Il utilise son maillet et son ciseau avec enthousiasme et précision. Peguy là encore lui demande : que faites-vous ?
« Moi Monsieur, répond l’homme, je bâtis une cathédrale ! »
La cathédrale que cet o(e)uvrier réalise dans le monde concret enrichit et reflète la construction individuelle de cet homme, celle-ci immatérielle puisque psychique, sa maison intérieure voire un temple qui sait ?
Elle donne un point de vue sur une question, question étant considérée comme mouvement. Elle est une interprétation et se propose ici comme un partage.
Aujourd'hui notre regard porte sur l'existence de la vie intérieure et sa place dans la dynamique humaine. Sa quête vise l'accès à un lieu personnel animé par un ordre invisible qui s'oppose au chaos du monde perceptible et des formes stéréotypées.
Cette recherche contribue à harmoniser les tensions, déployer les potentialités de compréhensions et de créations, éloigner le risque de conformité aux dogmes et ainsi accueillir plus aisément l'altérité.
Quels sont les chemins que nous avons à ouvrir pour accéder à ce lieu et à ses potentialités ?
Crédit photographique de Peggy Beyer
Le mythe de Procuste a été commenté et utilisé, de Socrate à Edgar Poe, de Ernst Junger à Aldous Huxley montrant ainsi son actualité dans différentes époques.
De quoi s'agit-il ? Nous sommes invités par ce mythe à méditer les conséquences d'un fantasme individuel ou collectif qui consiste à vouloir classer, enfermer, adapter les êtres et les faits. Les réduire à la rigueur d'un cadre absolu. Ce fantasme issu de biais cognitifs fonctionne en mutilant l’infinie richesse des possibilités en faveur d'un modèle standard, réduit à une seule façon de penser et d’agir, quitte à occulter tout ce qui dépasse pour le faire rentrer dans la case attendue. Le rapport à l'autre ne s'envisage que sous l'angle de la soumission, de l'assujettissement et de l'obligation.
Il s'agit d'un véritable détournement de sens qui se nourrit parfois d'arguments déontologiques ou éthiques pour se justifier et s'imposer. Ce type de propos n'habille au mieux que des opinions ou des idéologies venant servir le mécanisme limitant, oppressant.
Détournement aussi et surtout du sens même de la vie qui se caractérise dans ses manifestations par l'impermanence et le changement et non l'incessante répétition du même.
Le mythe de Procuste, adapté à une organisation, un établissement, un service recevant des usagers (secteur du soin, de l'éducation, du travail social au sens large) nous permet de comprendre la situation d'un lieu réduit à l'immobilité. Hyper centré et veillant au maintien de sa propre économie, le système procustien, administré par une personne ou un groupe, se referme, se contraint tout en contraignant les autres. Il exige de la part des professionnels et des personnes reçues qu'ils s'adaptent, surtout se conforment et répondent aux normes et aux exigences de l'organisation. Loin de chercher à ouvrir aux ressources inédites, à la question sans cesse renouvelée par les besoins des usagers, aux innovations de ses professionnels, ces organisations valorisent la bureaucratie, les protocoles.
Les conséquences de la situation d'une seule forme, d'une seule taille, d'une seule idée pour tous, aboutissent à une impasse à une sclérose, une dévitalisation de ces structures.
Le mythe de Procuste représente le paradoxe de l'hospitalité et illustre l'impossible accueil de l'altérité.
Cette réflexion sur le cadre thérapeutique a pour objet de conjuguer les potentialités créatives d'une relation (thérapeutique) avec la scène sur laquelle elle se déroule (cadre).
L'expression cadre thérapeutique associe un terme qui renvoie à des limites et des bords et un processus émancipant et libérateur. Ce rapport complexe peut conduire à un paradoxe portant une opposition; l'inertie du cadre, la mobilité du processus thérapeutique.
Nous distinguons trois aspects entrant dans ce rapport.
- La scène et décor contenants.
- Les conditions sécurisantes de la relation thérapeutique et de son écriture (déroulement).
- Les références théoriques du thérapeute desquelles sa pratique s'inspirent.
Nous aborderons le premier aspect, celui de la scène, le décor dans sa forme.
Un cadre est un espace plat, présentant des bords, qui dans une acception réduite limite, interdit. Il constitue un intérieur et un extérieur bien différenciés. Il existe un; dans le cadre et un hors du cadre, qui vont s'entendre aussi comme;
- ce qui est possible ou non,
- ce qui est tolérable ou ne l'est pas
- ce qui est à écarter ou ce qui est recevable.
Comment donner une dimension, une capacité créatrice qui excède les restrictions que la définition suggère ?
Dans une conférence sur la relativité générale d'Einstein, Aurélien Barrau astrophysicien et philosophe https://youtu.be/DWBe0AzF_kk, utilise par un discours rigoureux et poétique, la notion de courbure.
La courbure d'une surface plane permet un passage géométrique; celui du plan au volume de la sphère, passage d'un espace en deux dimensions à un objet tridimensionnel.
Ce passage offre des possibilités nouvelles puisque le déplacement sur une sphère ne rencontre plus les frontières du bord. La recherche y devient illimitée, en faveur de la découverte de Soi.
La sphère représente une unité, chaque élément fait partie de ce tout, rien de ce qui la constitue n'en est écarté. Elle et son environnement direct ou lointain sont en constantes interactions et non plus séparés.
Si le thérapeute injecte des notions de normes sur la question du cadre la fonction thérapeutique se réduit à un encadrement et altère la dynamique vivante en la transformant en une adaptation aux limites.
Sur une surface courbe, lorsqu'elle est choisie comme terrain de recherche par les deux acteurs de la relation (consultant et thérapeute), il existe toujours un au-delà de l'horizon. Cet horizon ne constitue pas une limite mais un devenir, un pouvoir être ; ensemble et avec Soi.
Pour toutes ces raisons et quelques autres que nous développerons prochainement, nous privilégions dores et déjà l'expression d'espace thérapeutique à celle de cadre thérapeutique.